lundi 12 avril 2021

Le Falcon030 d'Atari : l'économie à tout prix.

La couverture de l'excellent ST Magazine numéro 53, de juillet 1991, est illustrée avec un Macintosh IIci fissuré qui affiche le bureau du TOS. Ce luxueux micro-ordinateur se vend six briques (60 000 Francs) à l'époque ; soit environ cinq fois le prix de l'Atari TT ! Et même si ce dernier est un peu moins bien équipé, il soutient sans problème la comparaison avec l'Apple pour certains usages, comme le traitement de texte, la mise en page en noir et blanc ou l'impression laser, entre autres. 


ST Magazine numéro 53


La barre des 10 000 Francs correspond grosso-modo à deux fois le SMIC mensuel en 1991. Pour le modeste étudiant que je suis, c'est déjà plus que le budget maximum acceptable pour l'achat éventuel d'un ordinateur. A l'époque, les PC à base d'Intel 386 SX sous MS-DOS, comme ceux qui équipent la Fac des sciences de Montpellier, sont encore un peu au dessus de cette barre, mais plus pour longtemps. Leur prix va en effet littéralement s'effondrer au cours des années suivantes ; comme on peut déjà le constater dans le magazine Science&Vie Micro numéro 95 de juin 1992. Cette évolution du marché, avec une forte élasticité de la demande par rapport au prix (les volumes de ventes sur les machines d'entrée de gamme sont très importants), va progressivement entraîner la raréfaction des machines à base de Motorola 68030 et 68040, plutôt haut de gamme et dorénavant moins compétitives. Des entreprises comme Apple, Commodore et NeXT, sont donc en sursis avant la crise. De plus, à une époque où le logiciel libre est peu connu du grand public, l'accès au code source est rarissime. Les logiciels, souvent très optimisés, restent très liées à une architecture machine. Les portages coûtent cher et sont soumis à la bonne volonté des éditeurs. Parfois, l'émulation hardware (avec CPU secondaire sur une carte d'extension) constitue une solution acceptable pour avoir accès aux logiciels d'un autre univers.

Dans ce contexte, les constructeurs se comparent aux PC dit "clonés" et à leurs prix de plus en plus agressifs. Atari travaille discrètement sur les évolutions de sa gamme ST et soutien la croissance de son parc de plus de 400 000 utilisateurs en France. Pour rappel, le 130 ST, devenu le 520 ST à sa sortie commerciale, a été conçu en 1984, en un temps record, par le génialissime Shiraz Shivji accompagné de six ingénieurs seulement sous sa direction. Les ST, STF, STE et STacy sont des micro-ordinateurs polyvalents. Ils rencontreront un franc succès parmi les musiciens professionnels grâce à des logiciels fiables et performants comme Pro 24, Cubase ou Notator. Mais voilà, il faut bien assurer la succession du STE et plusieurs projets secrets sont en concurrence au sein d'Atari Corporation. La filiale israélienne marque de gros points en cette fin d'année 1991 avec le document de spécifications de l'Atari Sparrow. Il s'agit d'une ultime évolution pour un "compatible ST" qui comprime au maximum les coûts de développement. Cet argument a toujours fait mouche dans la famille Tramiel. Moshe Segal et Eran Dariel, co-signent ce document. Le premier nom est assez répandu sur Google, mais reste difficile à associer à Atari. Le deuxième possède bien un profil Linkedin. Mais il ne serait resté que deux ans en tant que chef de projet pour Atari en Israël. À l'époque, Atari Corporation compte encore environ 500 employés.

Après avoir été dévoilé par ST Mag dès le mois de mai 1992, le Falcon 030 est annoncé officiellement le 21 août à l'Atari Messe de Düsseldorf. Malheureusement, sa distribution en France ne débutera qu'à partir du mois d'avril 1993 ; au prix de 7990 Francs pour la version équipée de 4 Mo de RAM et d'un disque dur interne de 65 Mo. Ce tarif était encore acceptable, car aligné sur celui des PC comparables, mais plus pour longtemps. En parallèle, Atari Corp. continue ses restructurations. Le nombre de salariés est déjà descendu à 270 environ. 



Mon Falcon 030 de 1993, dans son jus.


Le Falcon 030, avec ses spécifications très proches du prototype Sparrow, est bien dans la lignée des STE. Sa compatibilité avec la gamme ST ou TT est excellente pour les applications GEM. Elle est plus délicate pour les anciens jeux, en basse résolution ST, qui nécessitent de jongler avec les patches. Pour des raisons évidentes de maîtrise des coûts, son CPU Motorola 68030 est un peu bridé. Celui-ci ne tourne en effet qu'à 16 MHz sur 16 bits pour le bus de donnée (à l'instar du Mac LC II, contre 32 MHz sur 32 bits pour le TT). Sur le Falcon, seul le coprocesseur vidéo, nommé VIDEL, accède en 32 bits à la ST-RAM partagée. Cependant, au delà des 16 Mo (14 Mo utilisables), il n'y a aucun emplacement pour insérer de la TT-RAM 32 bits (ni même de la Fast RAM en 16 bits). C'est dommage, car celle-ci n'aurait pas été ralentie par les accès du circuit vidéo. Pour rattraper ça, Atari compte sur l'exploitation du coprocesseur DSP 56001, similaire à celui qui est présent dans les stations de travail NeXT. Le nouveau système DMA autorise le montage sonore en direct-to-disk, sur 8 canaux 16 bits à 50 KHz en lecture ou écriture. Par exemple, on peut sélectionner six canaux en lecture pendant que deux autres sont en enregistrement. Cette fonctionnalité, unique à ce tarif, justifiera à elle seule l'achat d'un Falcon par de nombreux musiciens.


L'arrière de mon Falcon 030 : les prises RCA dorées ne sont pas d'origine.


En cette année 1993, après plusieurs mois à compulser les articles de ST Mag et de Start Micro (nouveau nom d'Atari Mag), j'espérais encore que le Falcon 030 sortirait dans une version avec boitier "desktop", comme le Mega STE, et aussi avec le même clavier séparé de qualité. Mais, les mois passant, cet espoir s'est transformé en déception. En décembre 1993, on constate que le Falcon 040 a disparu des projets Atari, qui se concentre dorénavant sur la console Jaguar. La production du 030 est stoppée brutalement. Le nombre d'employés Atari dans le monde est descendu à 133. Début 1994, Atari France S.A. annonce avoir vendu 6000 Falcon 030 sur l'année précédente ; avant de fermer définitivement ses portes en mars. La gamme ST et ses évolutions aura donc été produite et commercialisée officiellement pendant une assez courte période de neuf années.

Heureusement, j'ai acheté mon Falcon 030 entre temps, et c'est devenu mon ordinateur favori principal ; avec les Sun SparcStation de mon école. Entre 1993 et 1996, sa logithèque me convient parfaitement et ma facture d'électricité reste modérée grâce à son alimentation de 37 Watts. Je ne peux pas en dire autant de ma facture de téléphone ; car l'accès via modem aux services Minitel et BBS sur le RTC est facturé à la minute. La prise compatible LocalTalk du Falcon 030 était censée permettre une connexion à un réseau local, mais je ne l'ai jamais utilisée. A l'instar de Sun, NeXT et Apple, peut-être que si Atari avait investi très tôt dans l'Ethernet en natif, cela aurait pu contribuer à sauver la marque ? A la tête d'Atari, Jack Tramiel, puis Sam Tramiel, laisseront dans l'histoire plutôt des souvenirs de "costs killers", sans réussir véritablement à pousser la mêlée par l'innovation.


Les prises MIDI, cartouche et joystick 3 et 4 avec pavé numérique (compatible STE et Jaguar).


Revenons en 1993, à Nîmes : mes deux anciens moniteurs Atari (monochrome 12 pouces et couleur), avec interrupteur mécanique pour passer de l'un à l'autre, deviennent encombrants. J'investis donc dans un écran VGA multi-synchro de 15 pouces, associé à une ScreenBlaster II, qui me permet d'afficher la résolution que j'utilise le plus souvent : 800x600 (ou un peu plus) non entrelacée, en 256 couleurs. Cette fois, et contrairement à son habitude, Atari n'a pas conçu de moniteur dédié au Falcon. 


Le lecteur de disquettes HD 1,44 Mo au standard PC.


Dès le début, je deviens membre de l'association FAUCONtact. Avec mes lectures de ST Mag, leur fanzine me permet de ne pas trop me sentir isolé ; même si certaines de leurs réflexions sont surprenantes. Par exemple, la rédaction ne souhaitait pas la sortie d'une version 32 MHz du Falcon 030. Pourquoi ? Eh bien, pour éviter la surenchère et le gaspillage technologique... Mais bien sûr ! FAUCONtact était donc une publication écolo ? Pourtant, même si la version multitâche en mode préemptif du TOS (MultiTOS, 1993) a le bon goût de tourner à 16 MHz, elle est peu utilisable avec les vraies applications. On se rend compte très vite que, sous MultiTOS, le Falcon bascule en mode escargot et la consommation mémoire explose ! Dans cette configuration, le logiciel Outside (gestion de la mémoire swap sur disque) devient presque indispensable avec 4 Mo de RAM. Clairement, pour un usage classique, le multitâche de base dit "coopératif" avec le TOS en ROM (à travers les accessoires de bureau ou bien, pour gérer les impressions en tâche de fond) suffit largement et ne dégrade pas les performances.

Au début des années 90, le kit développeur Atari, facturé 2000 Francs, était présenté comme le moins cher du marché. Autant dire que pour moi, pauvre étudiant, l'incitation à la copie illicite était forte. Mais de nombreuses informations et documentations restaient plus ou moins confidentielles ; car soumises à l'attribution des licences développeurs. Les choses ont bien changé en 2021 pour les amateurs de rétro-programmation. Toute la documentation Atari est dorénavant téléchargeable ici : https://docs.dev-docs.org. Tant que je suis dans les liens, pour plus d'information sur l'histoire du Falcon 030 dans le contexte des années 1990, voici une vidéo très complète en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=cBTXGgb__y4&t.

En 2021, on ne retrouve malheureusement pas toutes les sensations du Falcon physique et de ses circuits son avec un émulateur. Celui que j'utilise le plus souvent est Hatari (sous GNU/Linux), pour sa fidélité avec les machines originales. L'émulation du disque dur est simple à mettre en oeuvre (en mode GEMDOS par exemple). Cependant, le problème principal auquel on est confronté, quand on veut éditer du texte et programmer, c'est l'émulation du clavier Atari. Comme la sérigraphie des ST est spécifique, une correspondance avec les touches du clavier PC en mode Azerty doit être établie. Plusieurs solutions existent, en fonctions des logiciels que l'on souhaite faire revivre. Cependant, la plus simple que j'ai trouvée, et la plus rapide à reproduire quand on lance Hatari "from scratch", c'est de passer l'émulateur en mode "Scancode" (et non "Symbolic"), de sélectionner un TOS en français (si on possède un clavier PC Azerty), puis de conserver dans un coin la table ci-dessous :

La voici ici au format OpenOffice, avec quelques correspondances de touches en plus et prête à imprimer.
 
Sur le clavier PC, il s'agit bien de la touche [Alt] et non [Alt Gr]. Les autres caractères, y compris les lettres accentuées, sont à leur emplacement habituel. Au final, le tableau ci-dessus n'est peut-être pas évident à mémoriser, mais il me permet d'utiliser sans difficulté les éditeurs GFA Basic, Basic 1000D, Pure C, Devpac ou même Le Rédacteur (qui possède, si besoin, son propre mapping clavier). J'ai encerclé en vert ci-dessous les huit principales touches qui ne correspondent pas au clavier PC : 

Le clavier du Falcon 030 est un peu mou, mais ergonomique.


Pour mon test habituel de primalité, sans grand intérêt technique (rappelons que ce n'est pas un benchmark satisfaisant), j'ai repris mon programme en Basic 1000D. Sur Falcon 030, cet interpréteur entièrement écrit en assembleur ne tourne malheureusement qu'en résolution compatible ST :


Toujours avec le même nombre premier 524287 en entrée, le temps d'exécution reproductible sur mon Falcon physique (14 Mo) est compris entre 1,7s et 1,8s. Si on fait l'impasse sur les optimisations possibles et sur les coprocesseurs (Motorola 68882, Blitter et surtout DSP 56001), ce score positionne donc cette version du 68030 comme étant deux fois plus rapide que le 68000 sur 1040 STF que j'avais testé précédemment. Au final, ce n'est pas totalement déconnant par rapport à la perception que l'on peut en avoir à l'usage. Pour être tout à fait honnête, les différences par rapport au ST relevées sous GEMBench sont bien plus importantes : 300 % pour les accès RAM, 580 % pour les divisions entières, et même 4060 % en calcul flottant avec le 68882, optionnel, que j'ai inséré bien plus tard dans la machine.

En conclusion, 28 ans plus tard, j'adore toujours mon Falcon 030. Avec le recul, ce n'était évidemment  pas l'architecture qui avait le plus d'avenir commercial en 1993. Mais je lui dois beaucoup dans mon cursus d'ingénieur, et je ne suis pas prêt à le vendre ; même si certaines enchères atteignent parfois des sommets déraisonnables. J'ai encore des tonnes de choses à explorer que j'essaierai de partager au fil du temps sur ce blog.

2 commentaires:

  1. Superbe machine le 030 que on peu booster en 060 pour encore plus de puissance et à priori c'était l'équivalent d'un Amiga 1200 au niveau des performances non ? Pour ma part j'en suis resté à l'Amiga 500 et à l'Atari 520ST, je suis ensuite passé sur les PC vers 1992 et toujours sur des PC en 2023 :-)

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    1. Tout à fait : les performances des CPU 68020 et 68030 d'origine étaient comparables. Par contre, l'Amiga ne disposait pas du fameux DSP 56001 (très efficace pour décoder du JPEG, entre autres) et ses capacités audio étaient inférieures (aucune entrée micro notamment).

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